Nous te connaissons car nous sommes plusieurs à courir dans l’équipe et nous avions déjà suivi tes aventures, notamment sur des trails mais aussi sur marathon. Nous avons aussi beaucoup ri quand nous avons lu le clin d’oeil posté par la page facebook « les genoux dans le GIF » (en bas de cet article). Ton expérience permettra sans aucun doute d’aider de nombreux randonneurs de cette page a préparer leur GR20, nous te remercions par avance du temps que tu nous as accordé. Si nous savons que tout est possible dans la vie, tu le démontres en plaçant la barre très très haute, avec une humilité qui force le respect.
Bonjour Clément, peux tu te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?
Je suis non-voyant de naissance, j’ai 31 ans et suis ingénieur à l’Insee. Une grande partie de mon temps libre est consacré à la course à pied, principalement dans le massif des Vosges. Je détiens les records de vitesse sur marathon et de distance sur trail pour un non-voyant sans assistance humaine. Je me suis lancé sur le GR20 avec un ami non-voyant, Yannick, et six valides dont un guide corse et des partenaires de course.
Tu as fait le GR20 dans quel sens et à quelle période et combien de jours ?
Nous avons parcouru le sentier du sud vers le nord, de Conca à Calenzana, en 13 jours, au milieu du mois de juin. Finir par le nord permettait d’aller crescendo dans la difficulté technique, bien plus difficile à gérer pour nous que les aspects physiques. Il s’agissait aussi d’optimiser nos chances d’éviter les névés, en passant aux plus hautes altitudes le plus tard possible.
Cela n’a pas été suffisant, la neige ayant tenu particulièrement longtemps en 2018. Nous avons alors escamoté la crête entre Petra Piana et Vaccaghja en faisant un crochet par Guagno. Le sol glissant eut été un danger trop important sur cette partie, puisque l’absence de vue rend le choix des appuis plus aléatoire et la stabilité plus précaire.
Quelle a été ta préparation pour faire le GR20 ?
Je me suis préparé en me faisant une entorse de la cheville six semaines avant le départ, ainsi j’étais sûr qu’il ne m’arriverait rien de pire. Plus sérieusement, je suis toujours prêt physiquement, une semaine de GR20 n’offrant pas plus de dénivelé ou de distance que ma semaine moyenne. L’élément nouveau était la rencontre avec des terrains plus rocailleux et accidentés que dans ma région.
J’en avais déjà pratiqués dans les Alpes et les Rocheuses, mais jamais sur 180 km consécutifs. C’était tout le sel de l’aventure, en plus de devoir la faire sur un seul pied valide, l’entorse étant à peu près rétablie avant le départ, mais pas la fracture du métatarse…
Traversee de la corse gr20
A travers la Montagne corse: Parc naturel régional de Corse
Est ce que tu avais un matériel spécifique ? Une appli GPS notamment que tu utilises déjà en trail ? Comment ça fonctionne concrètement ?
Lorsque je cours en autonomie, j’utilise ma canne blanche pour sonder les reliefs d’une main, un bâton de rando pour m’équilibrer de l’autre, et une application GPS vocale sur smartphone qui me permet d’anticiper les changements de direction et certains obstacles, via les points GPS du parcours éventuellement agrémentés de commentaires préenregistrés.
Cette application, Open-Way, est encore un prototype développé par l’association Yvoir, que je teste dans des conditions extrêmes. Le but est d’aboutir à un outil gratuit permettant aux déficients visuels de mieux s’orienter en milieu naturel comme urbain et de devenir plus autonomes.
Une cagnotte est en place pour nous aider à atteindre cet objectif :
https://www.helloasso.com/associations/association-yvoir/collectes/open-way-le-gps-pour-tous-1
Le GR20 est un terrain trop escarpé pour m’en sortir avec cette seule technique. En certains endroits, s’écarter de la trajectoire d’une variation inférieure à la marge d’erreur du GPS peut être fatal. Sans compter que dans la roche, la différence entre le sentier et le hors-sentier n’est pas toujours perceptible à la canne. Un de mes compagnons me précédait donc de quelques mètres et me décrivait le terrain, alors qu’un autre me suivait, se tenant prêt à me retenir en cas de faux-pas. Je voulais gérer moi-même mon équilibre et rester physiquement indépendant.Cela a été possible la plupart du temps, mais dans dans certains passages, comme la descente de Bocca di Stagnu vers la passerelle suspendue de Spasimata où la dalle peut glisser et offre peu de repères, j’ai tenu la lanière du sac à dos de mon guide, cette technique permettant de gagner beaucoup de temps dans les passages délicats.
La grande question quand on connait la difficulté du sentier pour un voyant : comment cela se passe au niveau des appuis ?
En l’absence de vision, une bonne proprioception (perception des variations du terrain avec les muscles des jambes, ndlr) est cruciale pour marcher en montagne. L’inclinaison, l’accroche, la granularité, l’angularité d’une pierre sont des informations utiles pour le pas suivant.
Le début d’un appui doit être léger, pour être en capacité de le corriger si besoin, car on n’est jamais sûr qu’on pose le pied au bon endroit. Le pied alterne entre les fonctions de radar et de porteur. Le mouvement et le bruit des pas du guide devant moi sont aussi des informations précieuses sur la nature des appuis à venir.
Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontré ?
Au-delà des aspects techniques, le plus compliqué était de maintenir la concentration sur une longue période. Ceci était aussi le cas pour nos guides, en état de vigilance permanente. Les conditions de vie un peu rudimentaires, le sommeil pas toujours récupérateur, le port du sac, sont des éléments à prendre en compte sur le GR20 dans la mesure où ils augmentent la fatigue, laquelle peut diminuer la concentration.
Il fallait aussi faire avec les blessures, inévitables à force de frôler les rochers avec les tibias, les coudes… même en ayant quelque protections pour amortir les chocs.
Ton meilleur souvenir ?
Les bons souvenirs sont nombreux : l’accueil dans certaines bergeries (bien connues d’Olivier, notre guide corse) ; mon anniversaire officiellement à L’Onda mais fêté jusqu’à Ascu grâce à l’ambiance que mettait Yannick le soir et qui nous a valu plus d’une tournée offerte par la maison ; les étapes faciles au milieu de ce chaos (Verde-Vizzavona et Vaccaghja-Ciottulu) où j’ai pu passer en mode course avec Stéphan, un de mes guides.
Un moment à oublier ?
J’ai lourdement chuté dès le premier passage un peu technique, dans la descente du col de Bavella. En cause : les chaussures soi-disant adaptées à la haute montagne, trop épaisses et rigides qui m’empêchaient de bien sentir le terrain.
J’ai survécu jusqu’à Vizzavona grâce à l’échange de chaussures avec Christian (mon partenaire d’entraînement ayant la même pointure), puis j’ai récupéré par la poste mes chaussures de moyenne montagne avec lesquelles j’ai mieux apprivoisé le terrain.
Le GR20 est une épreuve physique mais aussi une expérience humaine, qu’en ressors tu ?
L’expérience humaine a été très riche grâce à la dynamique de groupe et aux difficultés. Les conditions font qu’on en apprend beaucoup sur soi et sur les autres. Par moments je traînais ma mauvaise humeur à cause de mon pied douloureux, et c’est la solidarité du groupe qui m’a ramené à des pensées positives.
Trébucher, se relever, rencontrer des obstacles qui sont des aides pour progresser et mieux se connaître, avancer collectivement : ce parcours est une allégorie de la vie.
Merci encore Clément pour le temps que tu nous as accordé. Si vous êtes sensible au projet que soutient Clément (Open Way, le GPS pour tous), n’hésitez pas à partager cet article mais aussi participer via cette cagnotte.