Lorsque l’on évoque le sentier mythique du GR20 en Corse, on a aussitôt en tête son relief escarpé, sa réputation d’itinéraire parmi les plus difficiles d’Europe et ses paysages à couper le souffle.
Aujourd’hui, ce parcours de 170 kilomètres pour près de 13 000 mètres de dénivelé positif compte une nouvelle héroïne : Anne-Lise Rousset. Vétérinaire, maman d’un petit garçon et passionnée de trail, elle a accompli un véritable exploit en établissant un nouveau record féminin du GR20 en 35 heures et 50 minutes, soit près de six heures de moins que la précédente détentrice Emilie Leconte.
Le GR20 nécessite, pour la plupart des randonneurs, plusieurs jours, voire quelques semaines, pour être achevé dans son intégralité. Alors le parcourir en un temps si serré, c’est un peu comme tenter de battre un record d’apnée sous-marine dans les grands fonds : on est ébahis et on se demande comment c’est humainement possible. Au-delà des chiffres impressionnants, c’est la manière dont Anne-Lise Rousset a préparé son aventure qui me séduit le plus.
Un détail particulièrement marquant est son approche environnementale. Même si l’organisation d’un tel défi ne peut pas être totalement neutre en carbone, la traileuse s’est attelée à réduire au mieux son impact. Son équipe a fait appel à une société spécialisée dans l’évaluation environnementale afin d’établir un bilan carbone précis.
L’objectif consistait à déterminer les postes les plus polluants et à adopter des solutions cohérentes : limiter le nombre de véhicules d’assistance, privilégier les sources d’eau locales, optimiser les déplacements, etc. Ironie du sort, ils ont ainsi découvert que le bateau pris pour rejoindre l’île n’était pas forcément le moyen de transport le moins émetteur de gaz à effet de serre, et que l’avion, pourtant souvent pointé du doigt, aurait pu s’avérer plus vertueux dans leur cas précis.
Quelques temps de passage d’Anne Lise sur le temps de passage (manque les temps de pause a priori)
Retrouvez ici sa trace sur Strava : ici et son parcours plus bas avec les temps de passage et trace GPS
| Point de passage | Km | Temps | Dénivelé positif cumulé |
| Ortu (refuge 1) | 10 | 1300 | |
| Carrozzu (refuge 2) | 18 | 2000 | |
| Ciuttulu (refuge 5) | 34 | 4000 | |
| Lac de Nino | 51 | 4700 | |
| Petra Piena (refuge 7) | 66,5 | 5600 | |
| Vizzavone | 85 | 6500 | |
| Col de Verde | 111 | 8000 | |
| Usciolu (refuge 12) | 127 | 9100 | |
| Bavella | 150 | 10500 | |
| Conca | 160 | 12000 |
En tant que quatrième femme seulement à boucler ce redoutable GR20, Anne-Lise Rousset a aussi démontré qu’on peut trouver le bon équilibre entre passion sportive et vie personnelle. Elle a repris l’entraînement après la naissance de son fils Faustin, tout en jonglant avec son métier de vétérinaire. D’ailleurs, on sent chez elle un véritable respect pour le vivant : que ce soit pour la faune qu’elle côtoie au quotidien ou pour la nature grandiose de l’Île de Beauté qu’elle a sillonnée en un temps record.
Le film “Ce qui compte”, qui retrace son défi, met en avant cet attachement profond à l’environnement et à la montagne.
Le parcours, très technique et exigeant, s’est révélé d’autant plus éprouvant qu’Anne-Lise a dû faire face à une chaleur étouffante. Ses différents pacers – dont certains sont de véritables figures du trail, comme Lambert Santelli (recordman masculin du GR20) ou Guillaume Peretti – l’ont aidée à maintenir une allure soutenue sur l’ensemble des 170 kilomètres.
Impressionnant, quand on sait qu’elle affichait encore un grand sourire à la plupart des points de passage, s’inquiétant même de la forme de ses accompagnateurs. Une courte sieste sur une portion clé du parcours et quelques moments délicats liés à la nutrition n’auront pas suffi à entamer sa détermination. Elle a tenu bon jusqu’au bout.
Le parcours d’Anne Lise Rousset sur Open Runner
Ce succès phénoménal lui a donné envie d’aller encore plus loin. Son prochain défi est la Diagonale des Fous, à La Réunion : un rendez-vous mythique dans l’univers du trail, réputé pour être l’une des courses les plus complexes au monde. Et si tout cela ne suffisait pas, elle a également mentionné vouloir se lancer en 2024 sur la Hard Rock, une épreuve exigeante aux États-Unis, tout en étant consciente de l’impact que de tels déplacements impliquent.
Pour ma part, je trouve fascinant de voir comment, petit à petit, des coureurs de haut niveau tentent d’intégrer la réflexion écologique à leur pratique, qu’il s’agisse d’optimiser leurs voyages ou de privilégier un balisage responsable sur les événements auxquels ils participent.
Bien sûr, Anne-Lise le dit elle-même : elle n’est pas prête à renoncer complètement aux longues distances en avion pour courir sur d’autres continents. Mais ses efforts rappellent la démarche d’autres athlètes, comme Xavier Thévenard qui s’engagent peu à peu sur le chemin d’un ultra-trail plus soutenable.
La performance d’Anne-Lise Rousset dépasse largement la simple prouesse physique. Elle incarne un état d’esprit mêlant détermination, humilité et conscience environnementale, à travers un défi hors normes. Voir cette passionnée cocher son objectif en seulement 35 heures et 50 minutes sur un sentier que beaucoup rêvent simplement de terminer un jour m’inspire beaucoup.
Que va-t-il se passer maintenant ? Sans doute d’autres records du GR20 seront-ils battus, d’autres femmes et hommes pousseront encore les limites de l’endurance sur le GR20 ou ailleurs. Mais ce qui restera gravé, c’est l’exemple d’Anne-Lise, cette vétérinaire ultra-traileuse qui a prouvé que rapidité et respect de la nature pouvaient aller de pair.